NOU LÉ KAPAB

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Le malaise de la jeunesse française et européenne

Point de vue de Guillaume Rauffet, étudiant, LeMonde.fr, 23 novembre 2010, lien

 

logo_le_monde.gifContrairement à ce qu'en pensent ses détracteurs, qui ont toujours un jeu facile lorsqu'ils interprètent des mouvements dénués de véritable porte-parole, la mobilisation des lycéens et des étudiants contre la réforme des retraites en France n'a rien d'une manipulation du Parti socialiste ou du corps enseignant ; elle est l'expression du malaise diffus d'une génération qui ressent, certes obscurément mais certainement, un profond sentiment de malaise.

 

Leurs parents et grands-parents ont connu une croissance forte et qu'on imaginait infinie, la paix, une Europe qui rêvait son avenir dans un monde reconnaissant l'universalité de la raison, conçue comme synonyme de progrès technique et social et d'extension de la démocratie de marché. Bien sûr, cette génération a connu à partir de 1974 la première grande crise économique de l'après-guerre. Mais les progrès sociaux, les avancées de la construction européenne, la chute des régimes autoritaires méditerranéens contrebalançaient ces événements défavorables. Le progrès dispensait, croyait-on, de se poser la question de l'avenir de l'Europe.

 

Avoir entre 15 ans et 30 ans aujourd'hui, c'est être né au lendemain de ces conquêtes, au lendemain de l'euphorie d'une mondialisation qu'on croyait être à la fois la solution, l'aboutissement, mais aussi l'axe de convergence d'un progrès humain irréversible, universel et incontestable. Dégrisée, la jeunesse ne peut que constater que les générations précédentes lui laissent en héritage un monde dont l'environnement est menacé par une croissance non régulée, dont l'économie est déséquilibrée par une mondialisation financière incontrôlée et par une dette publique excessive. S'ajoute à ce constat un sentiment de déclassement, lié aux difficultés d'accès à un emploi de qualité, à un logement, sur fond d'une intense concurrence internationale ouverte à de nouveaux prétendants. Enfin, les élargissements successifs et la chute du mur de Berlin ont comme dilué la force mobilisatrice du rêve européen.

 

Des causes profondes


Ce malaise est général en Europe, la participation de la jeunesse aux protestations contre la réforme des retraites n'en est que la manifestation française. Lorsque le chômage touche 20 % des européens de 15 ans à 24 ans, comment cette classe d'âge pourrait-elle se projeter dans l'avenir ? En Grande-Bretagne le projet de hausse des frais de scolarité soutenu par le nouveau gouvernement a provoqué une émeute dans le centre de Londres. La Grèce, frappée de plein fouet par la crise, a aussi connu des affrontements violents entre jeunes et forces de l'ordre. Comment ne pas voir un lien avec les émeutes françaises de 2005 dans des banlieues où se concentrent toutes les difficultés ? Il est donc faux de faire le parallèle entre les mouvements actuels de la jeunesse en Europe et ceux de 1968. Alors que ces derniers opposaient à la réalité l'espoir d'un avenir libéré et meilleur,  leurs avatars actuels sont désabusés, lucides, voire nostalgiques.

 

La question des retraites cristallise ce malaise. Car enfin, la jeunesse d'aujourd'hui devra faire face à la situation démographique préoccupante d'une pyramide des âges en forme de losange, dont la base est plus étroite que le centre. Selon les projections démographiques d'Eurostat, l'âge moyen dans l'Union européenne passera de 39 ans à 49 ans entre 2004 et 2050. La majorité des systèmes de retraite européens étant financés par répartition, la jeunesse sera appelée à en supporter la charge pendant de longues années, et cela alors qu'elle est marginalisée économiquement. Il y a donc fort à craindre que la jeunesse soit la grande perdante des réformes actuelles et à venir. Puisqu'il faudrait aussi assurer la charge de la dette publique, accomplir de nouveaux efforts environnementaux tout en restant compétitifs, le tout avec une faible croissance, il n'est au fond pas anormal que la jeunesse soit inquiète, voire pessimiste. Elle est la mieux placée pour ressentir ce malaise, qui a des causes profondes.

 

Il ne s'agit bien sûr pas de se lamenter, notre situation reste enviable au regard du reste du monde ou du passé. Nous connaissons un confort matériel et une liberté d'action et de pensée inégalée. Mais il manque peut-être l'essentiel : ce rêve commun sans lequel une communauté n'a pas d'avenir et où tout sacrifice semble inutile. Pour éviter la diffusion d'un sentiment d'injustice toujours plus criant, il est donc urgent de poser la question de l'équité intergénérationnelle de nos systèmes sociaux et fiscaux. Pour rependre confiance en notre avenir, il faudra accomplir la révolution intellectuelle contenue dans l'idée certes galvaudée, mais profondément justifiée, de développement durable, c'est-à-dire d'un progrès qui ne compromette pas a priori les capacités des générations futures à poursuivre leurs propres fins.


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